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Hydrogen logistics concept. Truck with gas tank trailer on the road lined with solar power plants. 3d rendering
Quels carburants alternatifs pour les camions ?
Publié le 18 novembre 2022 - 10 min de lecture
En 2019, l’Union européenne s’engageait, dans le cadre du Pacte vert et du Paquet climat, à réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030… et à devenir le premier continent à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ! Conséquence directe : l’heure est au changement pour les transporteurs qui prennent le virage d’une mobilité plus durable.
Pour parler, sans filtre, de cette évolution majeure, nous avons rencontré Gaëtan Jollivet, dirigeant de l’entreprise de transport et logistique familiale Jolival, créée en 1948, et Michaël Fedaouche, patron de Wave transport, toute jeune entreprise parisienne spécialisée dans la livraison écologique du dernier kilomètre.
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Gaëtan Jollivet, CEO of Jolival, and Michaël Fedaouche, CEO de Wave transport
La Pommeraye, petite commune située à l’ouest de la France, dans le Maine-et-Loire, à 80 kilomètres de Nantes. Zone artisanale du Tranchet, c’est ici qu’est installé le siège social du transporteur Jolival. Sur les toits des bâtiments, des rangées de panneaux solaires regardent le ciel. À quelques mètres de l’accueil, un couple de moutons bêle, à intervalles quasi réguliers. Les bovins remplacent avantageusement les tondeuses à moteur en assurant l’éco-pâturage des espaces verts de l’entreprise.
Gaëtan Jollivet, 41 ans, dirige depuis 11 ans la société de transport et logistique, créée par son grand-père. Il nous accueille, amusé : « Vous avez vu… et entendu, on ne fait pas les choses à moitié chez Jolival. Quand on s’engage en matière d’environnement, on va jusqu’au bout. La transition énergétique, ce ne sont pas des paroles en l’air pour nous ! »
« Quand j’opte pour une énergie, je veux connaître sa provenance, comparer ses incidences et je ne peux pas juger si je ne teste pas. Avant de choisir, il faut aussi tenir compte du coût de l’énergie, du véhicule et de la valeur écologique ».
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Spécialisée, à l’origine, dans le transport de lot, ce qu’on appelle des lotiers qui créent des groupages pour compléter le chargement des camions, Jolival est devenue un transporteur multi-activités. L’entreprise évolue aujourd’hui dans les secteurs du bâtiment, de l’industrie, du textile, de l’agriculture et même de l’aviculture. La société emploie 195 collaborateurs dont 155 chauffeurs. Plus de la moitié des 120 véhicules du transporteur sont équipés d’un hayon élévateur, et qui dit hayon dit livraison en magasin, notamment en centre-ville.
« Comme pour nos activités, on a panaché notre flotte » présente Gaëtan. « Elle est constituée à 60 % de DAF, 20 % de Mercedes et le reste en Scania, MAN et Renault Trucks. Scania est d’ailleurs de plus en plus présent, puisque nous avons fait le choix du biogaz, il y a 4 ans. »
Gaëtan vient d’acheter 4 Renault Trucks B100, affectés aux zones longues. Et prévoit 14 camions qui rouleront au biogaz dès la fin de l’année 2022. Cela représentera plus de 10 % de son parc.
On l’aura compris, le patron de flottes a décidé d’investir sur le biogaz en matière d’énergies alternatives. Et il s’agit d’un choix mûrement réfléchi. Il a pris le temps de se renseigner sur toutes les options proposées aujourd’hui.
« Quand j’opte pour une énergie, je veux connaître sa provenance, comparer ses incidences et je ne peux pas juger si je ne teste pas. Avant de choisir, il faut aussi tenir compte du coût de l’énergie, du véhicule et de la valeur écologique ».
Gaëtan dégaine, sur son écran d’ordinateur, un schéma comparatif des émissions de CO2 - du puits à la roue - des différentes offres énergétiques en matière de camions, édité par l’agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie - Ademe.
« J’ai écarté le biocarburant xTL à ce stade, car il est 25 % plus cher. Mais toute ma flotte est dès à présent compatible ».
Pour l’instant, Gaëtan ne mise pas tout sur le B100, parce qu’il veut commencer par le tester. Il reste notamment sceptique sur la culture du colza. Combien de tonnes d’oléagineux va-t-il falloir pour alimenter une flotte ? Quelle sera la provenance des plantes ? Pour le moment, ses B100 roulent au diesel, et s’il veut changer il le pourra facilement.
« En revanche, je n’adhère pas du tout au GNL (gaz naturel liquéfié). Je n’ai jamais compris pourquoi on pouvait aller vers cette énergie ».
Sur le schéma de comparaison des énergies de l’Ademe, le GNL est plus néfaste pour l’environnement que le gasoil. Il vient de l’autre bout de la planète en bateau.
Mais Gaëtan n’a pas le choix que de continuer au GNC, car il n’y a pas assez de stations Biogaz à l’heure actuelle.
Et l’électrique, qu’en pense notre dirigeant ? « Ce qui me gêne le plus avec l’électrique, c’est qu’il ne provient pas d’une énergie renouvelable. Et on fait quoi des batteries en fin de vie ? L’électricité ne sera clairement pas l’énergie qui sera la plus propre et la moins chère demain. »
"Aujourd’hui, c’est le chemin que l’on prend, mais peut-être que dans 3 ou 4 ans, ce sera un autre virage et l’adoption d’une autre énergie. "
Michaël Fedaouche, CEO, Wave Transport
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À Nanterre, Michaël Fedaouche, 37 ans, dirige la jeune entreprise Wave Transport, créée en avril 2020, en plein confinement, pour répondre aux besoins immédiats de livraison à domicile. L’entrepreneur a fait, pour l’instant, le choix de l’électrique pour sa flotte d’utilitaires de 6m3.
« On ne peut pas exactement parler de basculement vers une nouvelle énergie pour nous, mais plus d’une anticipation du marché pour éviter l’obsolescence. On a débuté notre activité assez basiquement, avec deux auto-entrepreneurs chauffeurs-livreurs qui avaient leurs propres véhicules thermiques. Nous avons ensuite fait l’acquisition de quelques utilitaires à moteur thermique. On n’avait pas les moyens d’acheter nos propres véhicules électriques. On a constaté que la plupart des appels d’offres commençaient à être en green. On s’est renseigné sur les différentes énergies alternatives. On a hésité entre l’hydrogène, le gaz et l’électrique. À l’issue de nos recherches et après quelques devis, on s’est dirigé vers l’électrique. Aujourd’hui, c’est le chemin que l’on prend, mais peut-être que dans 3 ou 4 ans, ce sera un autre virage et l’adoption d’une autre énergie.
C’est pour cette raison que nous avons opté, pour l’essentiel de notre flotte, sur la location longue durée (LLD) avec l’offre Watèa by Michelin, pour être sûr d’être toujours à la page. »
Pour Gaëtan : « L’avenir sera multi-énergies. Différentes énergies vont cohabiter dans le futur. Chaque activité sera associée à des catégories de camions qui correspondront à une énergie. »
« J’ai fait le choix d’être actionnaire pour sécuriser cette énergie, parce que 10 % de ma flotte l’utilise désormais. Je vais pouvoir avoir une station à côté de mon siège, mais aussi un prix négocié sur 5 ans. Je n’aurai pas de volatilité sur le prix du carburant.Pour un transporteur, c’est juste une aubaine ! "
Gaëtan Jollivet, CEO de Jolival
Pour lui les camions régionaux rouleront au biogaz, les urbains à l’électrique… Mais il n’est pas en faveur d’une généralisation des véhicules électriques.
Selon lui, nous risquerions de faire face à une problématique de production de ces véhicules si particuliers et professionnels se mettent à les utiliser en même temps.
Michaël reconnaît que, sur son activité de logistique du dernier kilomètre, la réglementation urbaine qui se durcit et les exigences de mobilité durable des clients ne permettent pas d’envisager beaucoup d’autres options.
« Les appels d’offres en livraison du dernier kilomètre sont de plus en plus électriques. Tous les gros acteurs du marché, sur notre secteur d’activité, sont en train de basculer leurs flottes. Progressivement, nos clients sont de plus en plus nombreux à nous réclamer des véhicules green.
Nous aurons bientôt une vingtaine de camions électriques, dont 14 par Watèa. Et on a acheté en direct, 6 e-jumpy Citroën. Mais, en raison de la pénurie de cartes électroniques, les livraisons de ces véhicules sont extrêmement longues. On a commandé les utilitaires en juin l’an passé (2021) ... et on nous annonce une livraison en octobre… si tout va bien ! »
Gaëtan tient à rappeler le coût de l’électrique pour les poids lourds et ironise : " Aujourd’hui, un camion électrique coûte 500 000 €. L’aide de l’État est de 50 000 €. Et, super, on a gagné 50 km d’autonomie en un an ! On atteint les 250 km. La moitié de l’autonomie du biogaz…"
Selon lui, même si dans les deux prochains années ces véhicules atteindront 500 km d’autonomie, la question se posera pour la rapidité de charge.
Il faudrait investir dans des compteurs de 600 000 volts, ce qui nécessite un investissement énorme pour équiper toute une flotte.
Michäel valide d’ailleurs ses propos. « L’électrique reste onéreux. Pour nous, l’investissement se chiffre à 70 000 € au total pour équiper nos garages en chargeurs. Sur ce montant, on a touché une aide de 30 000 € du ministère de l’Écologie. Si j’ai un conseil à donner, il va falloir se lancer rapidement, car les aides pourraient bien diminuer. »
Le patron de Jolival avance un autre point important en matière de nouvelles énergies : le réseau de distribution. « Aujourd’hui, les stations de biogaz se développent doucement mais sûrement. Une centaine de stations ont été créées l’année dernière sur l’ensemble du territoire français ».
Pour les autres carburants, il n’y a que très peu de stations pour le B100 et elles se trouvent toutes chez les transporteurs. Il n’y a pas de réseau public pour l’xTL(1) et les branchements électriques ne sont faits que pour les voitures à ce jour.
Pour alimenter ses camions qui roulent au biogaz, Gaëtan n’a pas hésité à investir dans la construction d’un méthaniseur et d’une station publique biogaz qui seront construits sur sa commune. « J’ai fait le choix d’être actionnaire pour sécuriser cette énergie, parce que 10 % de ma flotte l’utilise désormais. Je vais pouvoir avoir une station à côté de mon siège, mais aussi un prix négocié sur 5 ans. Je n’aurai pas de volatilité sur le prix du carburant. Pour un transporteur, c’est juste une aubaine ! Et en plus, on a l’assurance d’avoir une production locale. On va être très attentif aux déchets utilisés. »
Pour les utilitaires électriques, Michaël révèle : « une recharge est nécessaire tous les deux jours à Paris et sa banlieue, avec une moyenne de 100 km par jour. En province, on est plus entre 150 et 200 km par jour. Cela correspond à une recharge tous les jours. »
« Pour l’instant, je vais continuer à investir sur le biogaz. Il y aura toujours du lisier et des déchets alimentaires, contrairement au pétrole. »
Gaëtan Jollivet, CEO de Jolival
Gaëtan insiste : « Pour l’instant, je vais continuer à investir sur le biogaz. Il y aura toujours du lisier et des déchets alimentaires, contrairement au pétrole. »
Petite explication pour les novices : Le biogaz est produit naturellement par la fermentation de nombreuses matières organiques, animales ou végétales.
« Si on arrive à créer un carburant avec le lisier(2) pour la partie levure et tout ce qui est déchets alimentaires pour les corps gras combustibles, on obtient une énergie vraiment gagnante et qui est duplicable partout ! Ce que l’on donnait aux poules avant, on va le mettre désormais dans le méthaniseur. »
Les autres avantages sont qu’il n’y a pas d’odeur et que les pleins se font en 15 minutes quand la station est équipée avec les bons compresseurs.
Gaëtan a aujourd’hui un peu de recul, et se rend compte qu’avec un camion qui parcourt plus de 100 000 kilomètres par an, il économise de l’argent par rapport à un diesel. En effet, avec le biogaz, on fait le plein pour 1€ tous les jours.
C’est donc évidemment ce qu’il y a de moins cher, mais pour l’instant, c’est encore l’autonomie qui pêche.
Cependant, toute sa distribution pour Super U se fait déjà au biogaz. Et pour Gémo, qui a aussi investi dans la station, il se donne pour objectif d’assurer les livraisons des 52 magasins dans l’ouest du pays au biogaz, dès mars 2023.
Gaëtan reconnaît tout de même : « je suis bien conscient que cette énergie alternative ne répondra pas à tous les besoins. Il n’y aura pas assez de méthaniseurs. »
« Nous sommes conscients de l’empreinte écologique liée à notre activité, c’est pourquoi nous nous engageons à utiliser des moyens de transport écologique. Nous sommes tous des habitants de la planète terre et si l’on pouvait éviter d’épuiser nos ressources, ce serait tout de même bien ! »
Michaël Fedaouche, CEO, Wave Transport
Avant de se quitter, une dernière question à nos deux patrons de flottes : que pensent les chauffeurs, principaux acteurs au quotidien, de ces changements de véhicules ?
« Nous avons, bien sûr, formé nos chauffeurs », réagit Michaël. « On ne conduit pas un utilitaire électrique de la même manière qu’un véhicule thermique. Il faut économiser la batterie. Mais, grâce à la data et une application fournie par Watèa, les chauffeurs peuvent gérer l’autonomie de leur utilitaire. »
« Les conducteurs apprécient de conduire ces nouveaux camions » complète Gaëtan. « Ils y trouvent un vrai intérêt, car ils sont sensibles à la dimension écologique. »
Michaël, philosophe, conclut : « Nous sommes conscients de l’empreinte écologique liée à notre activité, c’est pourquoi nous nous engageons à utiliser des moyens de transport écologique. Nous sommes tous des habitants de la planète terre et si l’on pouvait éviter d’épuiser nos ressources, ce serait tout de même bien ! »
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Pour plus d’informations :
Le passage aux carburants alternatifs : le cas des camionnettes de livraison
(1) Carburant diesel synthétique
(2) déchets animaux liquides provenant des exploitations agricoles
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